Film Wiki
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Chili[]

Pour ouvrir l’hommage au nouveau cinéma chilien, le Festival présente l’œuvre singulière, profondément déroutante, de Pablo Larraín, réalisateur phare de cette terre du bout du monde. Après avoir réalisé Tony Manero et Santiago 73, Post Mortem (tous deux également montrés au festival), il conclut sa trilogie avec le film No. Il y a eu le tueur fantasque obnubilé par La Fièvre du samedi soir, puis le lugubre et amoureux médecin de la morgue, et enfin, dans No, l’histoire d’un homme plutôt normal, séduisant, ambitieux, qui ne verse ni dans la folie ni dans le glauque. Incarné par Gael García Bernal, ce publicitaire nommé René Saavedra, n’est pas homme à aimer le frisson et encore moins l’engagement. Il se plie aux règles du client et vend son produit avec les mêmes formules martelées avec aplomb. Il crée du profit avec des images. Pourtant, comme dans les œuvres précédentes de Pablo Larraín, la politique infiltre la routine pour changer et révéler les êtres : le référendum pour ou contre le maintien au pouvoir de Pinochet jusqu’en 1997, première opportunité démocratique depuis 1973, fait exploser le pays. Deux camps se forment : celui du OUI et celui du NON, et René Saavedra se retrouve, presque malgré lui, à la tête de la campagne du NON. Là encore, en semant diverses pistes, Pablo Larraín laisse le spectateur libre d’interpréter les raisons de cette prise de position aussi inattendue que mystérieuse. Comment un homme semblable aux autres, sans idéal particulier, se retrouve-t-il au carrefour de l’histoire du Chili ? Ni héros, ni looser, René Saavedra est un personnage énigmatique, distant, presque froid. C’est probablement pour maintenir un regard dénué du pathos et des grands sentiments qui ornent trop souvent les luttes politiques que le réalisateur refuse au spectateur le plaisir facile de l’identification au personnage principal. Qu’il soit sympathique ou non, René Saavedra tient l’avenir du Chili entre ses mains. Naturellement, une fois à la tête de cette campagne décisive, se posent de multiples questions. Les élans populaires ne se créent pas à la pelle et on ne bouge pas les masses avec quelques slogans sexy. En effet, au moment de changer la donne, l’inconnu effraye et la pensée de l’éventuel abandon du confort matériel à peine goûté, décourage. On préfère s’accommoder des atrocités du régime au cas où cet avenir incertain en réserverait encore plus. L’enjeu majeur de la campagne est là : comment vendre le changement à un peuple entier ? La réponse est moins glorieuse que prévu, pourtant la chute se veut heureuse. Le Chili ne s’est-il pas élevé contre la tyrannie ? Ni victoire triomphante du bien sur le mal, ni ode à la résistance contre la dictature, le film de Pablo Larraín laisse un goût amer. Sa belle lucidité, sa justesse inébranlable et sans héroïsme nous dérange. Étourdi par ces images filmées avec une caméra de 1983, assommé par les couleurs kitsch de l’écran, on se demande au bout du compte qui gagne : la démocratie et ses promesses de liberté ou plutôt le pouvoir des images, la fabrique de rêve de la publicité, le mensonge à nouveau ? Camille Alézier Projections le samedi 29 juin à 17h, le mercredi 3 juillet à 10h30 et le vendredi 5 juillet à 21h45 / Dragon 3 LE NOUVEAU CINÉMA CHILIEN REGARDE LE MONDE LOS FANTASMAS Los Motivos de Berta ouvre le premier jour du Festival, et par la même occasion l’hommage fait à son auteur José Luis Guerin, puisque qu’il s’agit là de son premier long métrage. Los Motivos de Berta explore le quotidien de Berta et sa famille, bousculés par l’arrivée d’un mystérieux voisin. Ce qui ressort dans Los Motivos de Berta, c’est la manière dont Guerin représente ses personnages. Tels des êtres d’image, où le corps de l’acteur devient une figure évanescente. Guerin travaille principalement l’apparition, la disparition et la réapparition des figures dans le cadre. Ceci montre à quel point le cinéma est par essence fantastique, dans la mesure où des figures apparaissent puis disparaissent de l’image cinématographique pour réapparaître Autres. Guerin en a d’ailleurs fait un des axes centraux du film avec le motif du revenant. Que ce soit une femme morte dans un accident de voiture ou un homme en costume XVIIIe . A moins que tout cela ne soit des fantasmes. Car le film oscille subtilement entre le fantastique et le documentaire. Où le point d’interjection serait à trouver dans la représentation du vent, élément omniprésent dans le film. Puisqu’il est cet « invisible relatif », selon la formule de Jean-Louis Leutrat, visible par ses effets sur la matière. Ici par son souffle sur les herbes hautes, il hante la campagne castillane. Réel mais fantastique. José Luis Guerin est décidément un cinéaste qui écrit avec et sur le vent.

Avanti[]

a rétrospective de Billy Wilder , entre autres chefs d’œuvre de la comédie américaine, on redécouvre avec délectation Avanti ! , un joyau de la deuxième période de ce cinéaste qui, contrairement à ce que pouvaient présager l’universalité et l’humour de ses films, n’a pas toujours eu le succès public et critique escompté. Après l’échec foudroyant d’ Embrasse-moi, Idiot ! , co-écrit avec son plus fidèle collaborateur, I.A.L. Diamond , Billy Wilder confie qu’ils se sont « regardés pendant des semaines comme des parents qui ont fait un enfant à deux têtes et n’osent plus avoir de rapports sexuels. » Huit ans plus tard, désertant les studios américains pour l’Italie de la côte amalfitaine et l’île enchanteresse d’Ischia, au large de Naples, ils enfantent un petit bijou d’humour caustique. Le cinéaste continue, sur le mode élégiaque, à briser les conventions sociales, détournant malicieusement les codes de la comédie de remariage. Aux côtés d’un Jack Lemmon qui n’a rien perdu de son entrain – même s’il cherche à nous le faire croire – campant un homme d’affaire américain rabougri chargé de rapatrier le corps de son défunt père, la délicieuse anglaise Juliet Mills personnifie une Italie solaire, accueillante et innocemment tentatrice. Si Wilder se permet tout quant à l’accumulation outrancière et cocasse des clichés sur l’Italie – le chaos bureaucratique, la paresse, les Frères maffieux Trotta, sans oublier la Sicilienne vengeresse et moustachue qui n’est pas sans nous rappeler la fiancée de Divorce à l’italienne de Pietro Germi –, c’est bien pour rendre compte du choc des cultures entre une Amérique puritaine et affairiste et une Europe hédoniste, décomplexée et chantre de l’art de vivre. Mais au-delà de l’abus terriblement comique de tous ces stéréotypes, on perçoit l’effort amusé de Wilder pour faire une comédie « à l’italienne ». Le foisonnement interminable des entrées et sorties de champ, des quiproquos, le comique de répétition (il faut, pour en comprendre enfin la subtilité, avoir vu la scène de la morgue où un employé appliqué tamponne des certificats avec une gestuelle chronométrée), la musique originale de Carlo Rustichelli et le va-et-vient de personnages secondaires hauts en couleurs et autres Pantalone, ramènent sans détours à la commedia dell’arte. Le charme fou de ce vaudeville, basculant dans l’intime et la nostalgie, vient de la nonchalance avec laquelle il allie sensualité et férocité. Le corps pulpeux de Juliet Mills, perchée sur son rocher dans le plus simple appareil, est un pied de nez à l’omniprésence angoissante du cadavre du père. Pour le couple, la légèreté de cette aventure adultère n’en est pas moins placée sous la signe de la fatalité, la forza del destino

c’est la

liaison de leurs parents respectifs qui entraîne inexorablement la leur. La mélancolie qui se dégage d’ Avanti ! n’enlève rien à son acerbe critique de la société et son humour piquant. Ce film confirme, au contraire, comme le dit Olivier Père, que ce sont souvent les vieux cinéastes, plus ou moins roublards, mais d’une lucidité extrême qui ont réalisé quelques-uns des films les plus modernes, libres (voire libertaires) du cinéma américain des années 70. Œuvre testamentaire avant l’heure, le film entraîne à se demander si l’on pourra un jour se dire, avec Alfred de Musset

«

J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé.

Kentridge[]

On a peu d’exemple d’artiste aussi total et original que le sud-africain William Kentridge. Il dresse le portrait de sa Johannesburg natale, avec Ten Drawings for Projection, suite de dix très courts films « animés » qu’il commence à réaliser à la fin des années 80. Si on ne peut pas vraiment nommer ce procédé du cinéma d’animation, c’est parce que Kentridge utilise une technique absolument originale de dessins mis en mouvement par le biais du projecteur de cinéma. Sur un fond dessiné au fusain, il fait évoluer des personnages et des objets à qui il donne vie en ne cessant d’effacer, de gommer voire de raturer, de superposer de nouveaux traits sur son dessin originel, y faisant évoluer son histoire tout en laissant apparaître le processus de création. Les étapes de la création ainsi rendues visibles font presque entrevoir la main qui en est l’origine, son effort, sa matérialité. Des personnages récurrents peuplent ces petits instantanés de vie : Soho Eckstein, le magnat industriel, figure du capitalisme dominant et son double, Felix Teitelbaum, poète souvent représenté nu, incarnant la figure de l’artiste. Entre les deux : la femme. Entre un schéma triangulaire et la partition de l’histoire en saynètes criantes de vérité sur la réalité et l’horreur de l’apartheid, l’artiste fait surgir le portrait d’un pays défiguré par cette politique colonialiste de séparation, parfois matériellement représentée par une image stéréoscopique, littéralement scindée en deux. Mais cette scission est aussi celle d’un être déchiré – d’ailleurs incarné en deux personnages, Soho et Felix. La virtuosité de Kentridge est dans sa capacité à rendre compte de la matérialité des éléments qu’il dessine, l’onctuosité et la fluidité de l’eau, le cri strident du téléphone, la moiteur de la terre et des peaux, le bruit de la mer dans un coquillage (ou dans une tasse à café) …Il prouve que l’image est la seule possibilité d’exprimer des sentiments et une réalité indisible. Ainsi l’amour est un petit poisson perdu dans une eau bleue qui submerge tout. L’irruption de la couleur, le bleu de l’amour, le rouge de la rage, dans cet univers noir de fusain, crayeux et dense, vient jeter en taches et longs serpentins colorés, l’espoir d’une secousse dans cet univers annihilé. Ces poèmes picturaux et organiques sont autant de petites prises de conscience et leur palpable existence révèle les maux d’un pays comme on montre les meurtrissures d’un corps.

Les Demoiselles de Rochefort[]

«Je voulais faire un film sur la joie» déclare Jacques Demy à propos des Demoiselles de Rochefort. Le film semble en effet mû par un principe vital qui éclate en chants, en danses, en couleurs, résultant peut-être de la nécessité secrète qui aimante les êtres, met les personnages en quête de celui ou celle à qui ils sont destinés. Mais cette rencontre vers laquelle tend le film, à travers les personnages principaux, les jumelles Delphine et Solange, Maxence, Andy, Yvonne et Simon Dame, est sans cesse différée et le ballet qui se déploie dans les rues de Rochefort nous apparaît comme une variation sur l‘absence où s‘étirent puis se resserrent à l‘extrême les distances entre ces corps, qui s‘espèrent, se cherchent, s‘attirent mais ne se trouvent pas. Ce ballet orchestré avec une telle minutie, dans lequel un personnage perd l‘obscur objet de son désir au détour d‘un plan, entre deux images, imite paradoxalement par cette précision même, le mouvement de la vie. La composition millimétrée de cette chorégraphie à l‘échelle d‘une ville, réussit ainsi l‘exploit démiurgique de recréer le miracle de la vie, dans son surgissement et ses hasards. Jacques Demy nous donne à voir des personnages guidés par une force qui les dépasse, convergents vers un but, et dont les allées et venues semblent cependant fragiles, comme laissées au caprice du sort. Lorsque Delphine se rend chez sa mère pour lui dire au revoir avant son départ, la caméra qui se retire semble mimer l‘impossibilité d‘une rencontre dans le champ, qui n‘est rendue possible que par l‘imminence de la fin, Delphine et Maxence se rejoignant in extremis dans le hors champ du film, ce camion qui s‘en va vers un ailleurs. Les Demoiselles de Rochefort est une histoire de glissements de part et d‘autre du cadre, le champ s‘apparente à la ville et nous y voyons évoluer des personnages prisonniers de leurs propres cadres incarnés sous la forme d‘un café, d‘une galerie, d‘une caserne... Le mouvement de la caméra, qui aurait pu être l‘instrument d‘un jeu cruel sous un regard moins bienveillant que celui de son réalisateur, finit par s‘étendre aux personnages, tandis que les voix et les thèmes musicaux épars parviennent à s‘unir dans un chœur final.

Dr Jerry[]

La première chose qui frappe, ce sont les couleurs. Vives, criardes, elles donnent l’impression d’assister à un Tex Avery envahi de chair et d’os. Le laboratoire occulte, terré dans le secret du noir et blanc charbonneux du film original de la MGM a laissé place, vingt-deux ans plus tard, à un joyeux bordel où les tubes à essai et les cornues s’entremêlent au sein de vapeurs colorées éclatantes, l’ensemble évoquant plus le kit du chimiste débutant que l’attirail dangereux d’un scientifique mégalo. Fini le mystère du docteur damné, œuvrant envers et contre tous dans les bas-fonds de Londres : ici le héros n’est rien d’autre que le parfait contraire, soit un universitaire timide et sensible aux dents de cheval. Londres est loin, l’action se situe, c’est dire l’idée amusante de Jerry Lewis, dans un campus américain, en plein été. Ou comment un grand classique de la littérature fantastique anglaise se transforme en un classique de la comédie américaine. Métamorphose s’il en est : n’est-il pas formidable que le thème principal de l’œuvre de Robert Louis Stevenson soit l’engrais même de sa réadaptation ? Transformer l’œuvre originale en en donnant un versant insoupçonné, soit la comédie, semble une merveilleuse manière de rendre hommage au roman de Stevenson, d’autant que dans l’hystérie de l’épouvante, nous ne sommes jamais loin d’une crise de rire. J’en prendrai comme exemple la scène où le professeur Kelp se métamorphose pour la première fois. L’ambiguïté de cet incroyable exercice de style auquel s’exerce Lewis prend ici toute son ampleur : la musique angoissante, œuvrant par montées successives, répétitives, la pénombre qui s’abat progressivement sur le laboratoire ainsi que le travail du cadre, qui nous empêche de voir le visage de Kelp, laissent présager le pire... Mais comment réagir quand l’on constate que le visage du professeur devient tour à tour bleu, puis rouge, puis vert ? La grossièreté de cet effet comique, très direct – la peinture est appliquée à même la peau et ne tente aucunement de s’apparenter à de monstrueuses anomalies épidermiques – rappelle la jouissance ironique du pop-art, qui était à son comble à l’époque du film (déclinaison des visages de Marilyn Monroe et d’Elizabeth Taylor en différentes sérigraphies criardes), et l’ancre ainsi fortement dans son époque. Il faut savoir que Warhol et ses comparses étaient fortement inspirés par les comics, soit les bandes dessinées américaines, et qu’il semblait, tout comme Lewis avec ses films, prendre la relève d’un géant de l’exagération visuelle et sonore, que nous évoquions au début et qui connaissait alors une notoriété descendante auprès du public : Tex Avery. Quel meilleur repère que ce monde élastique, carnassier, où les corps des personnages subissent constamment des tortures sous le couvert de la rigolade ? Le corps est tout aussi imprévisible dans le film de Lewis : il peut se transporter, se malaxer, s’étirer à souhait... Au-delà-même du thème de la métamorphose, c’est le sujet de nombreux gags qui ne sont pas en rapport direct avec elle. Il y a là, de la part de Lewis, une pure jouissance burlesque de l’impossibilité de la représentation du corps. Le professeur Kelp est une sorte de jouet pour son environnement, et se modèle maladroitement selon la pression de ce dernier : fourré dans une étagère par un élève, les bras démesurément allongés par des haltères, ce personnage décidément cartoonesque, malléable à souhait, dérisoire, comme un chewing-gum à taille humaine, prend toute sa solidité, son immuabilité vis-à-vis des autres lorsqu’il se transforme. Mais nous n’en dirons pas plus, il faut vous laisser le plaisir de découvrir l’autre versant du professeur Kelp. Benjamin Hameury Projections le dimanche 30 juin à 17h30, le jeudi 4 juillet à 22h15 et le

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