La Vérité , film français de Henri-Georges Clouzot, sorti en 1960
Analyse critique[]
Le film s'ouvre sur Dominique Marceau qui répond devant la justice du meurtre de Gilbert Tellier, son ancien amant. Elle a toujours mené une vie libre et dissipée. H.G. Clouzot alterne scènes de procès et flash-backs évoquant les faits.
Après avoir passé son enfance en province, Dominique réussit à convaincre sa famille de la laisser accompagner à Paris sa sœur Annie, premier prix de violon du Conservatoire de Bennes qui désire continuer ses études dans la capitale. Bien vite Dominique se fâche avec sa sœur et va habiter seule dans le Quartier Latin. Après un certain nombre d'aventures, elle rencontre Gilbert, un camarade de Conservatoire d'Annie, futur chef d'orchestre qui entretient une relation platonique avec Annie. Celui-ci ne tarde pas à tomber amoureux de Dominique qui le fait languir et va même jusqu'à prendre un autre amant, Gilbert se fâche mais la jeune fille réussit à l'amadouer et finalement l'emmène chez elle. Gilbert décide d'améliorer son comportement et, pendant quelques mois, ils vivent heureux.
Cependant. Dominique s'ennuie. Un soir, un de leurs amis, Jérôme, les invite dans une boîte de nuit où il travaille. Dominique s'y amuse follement et refuse de repartir avec Gilbert. Un peu ivre, elle se laisse ramener par le Directeur de l'établissement, Toussaint. Quelque temps après, les parents de Dominique, informés de sa conduite, lui coupent les vivres. Obligée de travailler, elle accepte un remplacement que lui offre Jérôme, au vestiaire du night-club. Malade de jalousie, Gilbert lui fait une scène. C'est la rupture.
Le remplacement s'achève, Dominique se trouve sans travail et, petit à petit, se fâche avec tous ses camarades les uns après les autres, lassés de ses emprunts non remboursés. Finalement, elle est sans rien et, pour vivre, elle s'abandonne à des amis de passage et à la prostitution occasionnelle. Un jour, elle entend avec stupéfaction un enregistrement de Gilbert qui a enfin réussi comme chef d'orchestre. Tous ses souvenirs lui reviennent à l'esprit, et elle réussit à se convaincre qu'elle l'a toujours aimé. Peu après, son père meurt. Lors de l'enterrement, elle apprend que Gilbert est fiancé à sa sœur Annie. Désespérée, elle se met à boire et un jour confie sa peine à Jérôme. Celui-ci pour la consoler, lui déclare que Gilbert n'aime pas vraiment sa sœur d'amour et qu'il pense encore à elle. Elle réussit à retrouver son amant et va le rejoindre en pleine nuit. Au matin cependant, Gilbert met les choses au point : son aventure avec Dominique est terminée, c'est Annie qu'il épousera. Décidée à mourir, Dominique achète un revolver mais le courage lui manque.
Un soir cependant, elle décide d'aller se suicider devant Gilbert. Celui-ci excédé, la met au défi et lui tourne le dos. Dominique tire et vide le chargeur sur son amant, elle se rend ensuite dans la salle de bain et ouvre le robinet à gaz du chauffe-eau. Un ami de Gilbert toutefois arrive à temps.
Aux assises, tout témoigne contre Dominique. Elle n'arrive pas à prouver qu'elle a vécu, même pendant quelques temps, un grand amour et que son geste est passionnel. La logique même de sa déchéance suggère sa préméditation. Elle se désintéresse désormais de tout. Lors de la seconde audience, le Président annonce son suicide. Dès lors l'action de la justice est éteinte.
Clouzot dresse le portrait à charge d’une société puritaine et hypocrite, dénuée de compassion pour les monstres qu’elle peut engendrer. Le résultat est d’une précision remarquable et d’une ironie impitoyable. En 1960, lorsque le film sort sur les écrans, Brigitte Bardot est la star de cinéma par excellence, bénéficiant d’une aura qui la rend très populaire dans le monde entier, même jusqu’aux États-Unis, ce qui permettra très certainement à Clouzot d’être nommé cette année-là à l’Oscar du meilleur film étranger. Brigitte Bardot, à peine âgée de vingt ans, déboule sur les écrans français au beau milieu des années 1950, elle révolutionne l’image de la femme et bouscule la bienséance bourgeoise. La nudité s’y affiche sans complexe, la caméra devient complice de jeux sexuels équivoques et ce sans cette distance ironique propre au cinéma américain qui faisait par exemple de Marilyn Monroe un être ultra sexué mais définitivement inaccessible et pudique.
Utilisant le trouble que l’actrice provoquait au sein du public, Henri-Georges Clouzot y vit l’opportunité d’attaquer une nouvelle fois le moralisme bourgeois qu’il n’a cessé de dénoncer dans l’ensemble de ses films, mais là où Roger Vadim ou Claude Autant-Lara se contentaient de jouer à la poupée qu’on effeuille, Clouzot donne à l’ingénue séductrice une véritable dimension tragique, osant quasiment en faire une martyre du puritanisme dont on ne sait plus vraiment si le principal crime est d’avoir tué son amant ou d’assumer aussi librement sa sexualité.
De plus, Clouzot n’hésite pas à malmener violemment l’image de l’icône sexuel jusqu’à la rendre profondément pathétique. Ici, malgré la très grande précision apportée à la reconstitution d’un Paris bohème, la volonté de réalisme est de mise. La jeune femme se déconnecte progressivement de tout ce qui la rattachait à la société, fâchée avec sa sœur, elle perd son logement, vit de combines pour ne pas dormir dans la rue et va jusqu’à monnayer son corps pour subsister. Oisive, charnelle, mendiante et prostituée, Dominique Marceau cumule toutes les tares qui feront d’elle la coupable idéale aux yeux de l’opinion.
Derrière la froideur cynique de Clouzot, le réalisateur, passionné par les tourments intérieurs de ses personnages, est probablement celui qui a su filmer Bardot avec le plus d’humanité. Rarement son visage inondé de larmes, reflet de toutes les humiliations dont elle a été l’objet, n’aura paru si beau. Et ce cri de désespoir lancé à une assistance incapable d’empathie (« Vous êtes tous morts !» hurle-t-elle) résonne encore comme l’une des plus déchirantes déclarations de guerre de la part d’un réalisateur qui, s’il n’a pas vraiment survécu à la révolution de la Nouvelle Vague, a toujours fait preuve d’une exigence pour son art qui force le respect.
Distribution[]
- Brigitte Bardot : Dominique Marceau
- Sami Frey : Gilbert Tellier
- Marie-José Nat : Annie Marceau, sœur de Dominique
- Charles Vanel : Me Guérin, avocat de la défense
- Paul Meurisse : Me Éparvier, avocat de la partie civile
- Louis Seigner : le président de la cour d'assises
Fiche technique[]
- Réalisation : Henri-Georges Clouzot assisté de Serge Vallin et Claude Clément
- Scénario, adaptation et dialogues : Henri-Georges Clouzot, Véra Clouzot, Simone Drieu, Jean Clouzot, Michèle Perrein, Christiane Rochefort
- Photographie : Armand Thirard
- Montage : Albert Jurgenson
- Durée : 127 minutes
- Date de sortie : 2 novembre 1960
- Distinction : Golden Globe 1961, meilleur film étranger