Les Feux sauvages , film chinois de Jia Zhangke, sorti en 2024
Analyse critique[]
Le film commence en 2001 , dans la ville de Datong, en Chine du Nord : Un homme à côté d'une moto, une clé à molette à la main, regarde une usine au loin alors qu'à côté brûle un feu sauvage. Des ouvrières dans une cabane de repos chantent. Qiao-qiao attend le bus. Des ouvriers attendent d'être pris en photo. Qiao-qiao croise des ouvriers la nuit et va danser en boite de nuit. Un homme soulève des seaux à la force des paupières. Bin descend d'un train. En rentrant au petit matin, Qiao-qiao est importunée par des jeunes en moto. Elle leur lance une pierre avant de prendre le taxi. Chez elle, elle chasse les mouches.
Le Palais de la culture, délabré, a été repris par un nouveau gérant. C'est une salle pour les retraités de la mine désœuvrés qui écoutent le Jinju, l'opéra bangzi du Shanxi. Les filles, sept ou huit chaque jour, lui reversent 10 yuans par jour; il leur en reste autant; presque un salaire normal. Qiao-qiao est amoureuse de Bin qui se montre distant. Ils écoutent les femmes chanter et ramasser leurs pourboires. Qiao-qiao se prête à un défilé de mode, à des exhibitions de danse. Salle de jeux vidéo. Bin est dans une salle de karaoké avec des amis. Tout le monde danse et fête le choix de la Chine pour les jeux Olympiques de 2008.
Qiao-qiao danse sur les marches de l'hôtel de ville pour une campagne publicitaire d'une eau de vie locale. Bin dans le camion traite Qiao-qiao durement; il lui signifie par des textos qu'il a envie de partir, de tenter sa chance ailleurs et il viendra la chercher quand il sera installé. Elle rentre seule, Il part en train. Elle est seule. Elle chante une chanson pleine d'espérance lors d'une nouvelle campagne de promotion pour l'alcool.
2006 Les Trois-Gorges, sud-ouest de la Chine; Qiao-qiao mange du poulet au riz sur le bateau. Elle envoie des textos sans réponse à Bin. Un panneau indique la limite fatale des 156,3 mètres qui seront recouverts par les flots. Qiao-qiao écoute en voiture la radio dire que lorsque la hauteur de l'eau en amont atteindra 156 mètres, 12 districts entre le Hubei et Chongqing seront submergés. 1,6 millions d'habitants ont ainsi été déplacés et relogés. Qiao-qiao passe la nuit dans un dortoir religieux à l'entrée duquel figure une version simplifiée de La madone Sixtine de Raphaël. Elle accoste sur le quai où attendent des gens prêts au départ pour le Guangdong. Elle erre dans la ville en démolition, voit des objets abandonnés par les migrants, des graffitis rendant hommage à l'ancienne ville.
Dans un salon de massage qui lui appartient, Bin discute avec Pan, son invité venu de Lanzhou, capitale de la province du Gansu. Il demande à Huang-mao de rassembler quelques frères sur le port. Pan exige 100 000 yuans tout de suite. Bin doit en référer à Mme Ding. Pan contraint Huang-mao à le masser et même un peu plus s'il veut être embauché par lui. Bin est à la tête d'un groupe de démolition avec pour patronne Ding, une femme qui a signé ses contrats. Il demande à Huang-mao de passer à l'attaque le lendemain. Il fait partir Mme Ding pour Yichang, en aval des Trois-Gorges. Blondie attaque un autre groupe de démolisseurs. Il est convoqué par la police fluviale car "la femme de Xiamen", Ding, est partie avec l'argent. Pan se trouve aussi dans ce commissariat et emmène Huang-mao avec lui à Wuhan.
Qiao-qiao erre dans une usine sous la pluie où un jeune homme propose de l'aider. Elle fait passer un avis de recherche à la télévision pour retrouver Bin, 32 ans, avec sa photo. Quand, menacé d'en voir diffusés d'autres, il accepte enfin de la rejoindre, elle lui déclare que c'est fini.
2022 Zhuhai au sud de la Chine. Bin traverse les terrains en construction. Il lace avec difficulté sa chaussure. 23 novembre, lendemain de la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de football au Qatar. Xiao Zhou l'accueille car Pan est à l'hôpital. Il a deux enfants pour sauvegarder les apparences. Bin avait un petit boulot dans une agence de microcrédit qu'il a perdu avec la pandémie. Pas mieux à Macao; ils font des vidéos. Le vieux Xing est un expert de Tik-Tok.
Retour à Datong. Propagande sur la reprise du covid aux Etats-Unis. Salle des fêtes on danse ; Bin retrouve Quia-quia sur le marché aux légumes. Elle pleure dans le vestiaire en mangeant. Elle croise un robot qui constate qu'elle a l'air triste. Il cite Mère Teresa : "Aime jusqu'à en avoir mal et la douleur disparaitra, il ne restera que l'amour" et Mark Twain : "Les humains n'ont qu'une arme efficace, c'est le rire".
Qiao-qiao écoute un groupe de rock chanter. Bin avec son sac de courses se rapproche. Elle l'observe sans bouger puis le laisse la suivre dans les rues. Des jeunes gens mangent devant une enseigne McDonald. Il est revenu parce que la vie est moins chère. Il occupe un appartement. Elle lui relace ses souliers; lui redonne son sac de courses et va faire le jogging avec des centaines de Chinois.
Profitant du confinement avec son impossibilité de tourner, Jia Zhang-ke reprend trois de ses films anciens : Plaisirs inconnus (2002) situé à Datong et Still Life, Still Life (2006) situé à Fengjie ainsi que Les Éternels (2018). Il invente une histoire d'amour préalable de Qiao-qiao avec Bin à Datong et, après l'échec des retrouvailles à Fengjie, un avenir par son retour solitaire à Datong après bref déplacement sans succès au nord de la Chine. L'histoire est néanmoins toute nouvelle, unie par la formidable présence de Zhao Tao qui interprète Qiao-qiao traversant les trois principales mutations de la Chine au cours de ces vingt-cinq dernières années.
Avec une partie fictionnelle aussi profondément remaniée et ténue si l'on ne connaît pas les films précédents de Jia, c'est l'aspect documentaire qui prédomine avec une large place accordée aux chansons pour faire passer l'émotion. La scène initiale dans la cabane de repos dit la solidarité qui unit les ouvrières de Datong. En 2001, on entend la radio annoncer que pour Jiang Zemin (président de 1993 à 2003), l'entrée de la Chine dans l'OMC va améliorer les relations sino-américaines. Un peu plus tard, un lent travelling dans la rue de Datong est accompagné par une chanson (Kill the One from Shijiazhuang du groupe Omnipotent Youth Society). Elle raconte combien pour cet ouvrier, habitué à rentrer chez lui du travail à dix-huit heures et voir sa soupe servie par sa femme, l'ouverture à la mondialisation va soudainement "détruire cet édifice". Quand Bin pénètre dans la salle des fêtes de Datong en décembre 2022, il voit des couples danser sur une chanson romantique ("Quelles sont ces larmes dans mes yeux ; le regard brouillé, je ne te vois pas t'éloigner") qui matérialise son espoir de renouer avec Qiao-qiao. Mais celle-ci est sensible à la chanson qu'elle écoute à la sortie du supermarché où l'attend Bin. Celle-ci est sans équivoque : "au cœur de l'hiver on ne peut retrouver la chaleur de la première étreinte, connue au printemps".
La partie à Datong diagnostique les bouleversements pour la jeunesse introduit par l'ouverture de la Chine à la mondialisation dans ses centres urbains. Les relations de couple jusqu'alors jamais interrogées sont minées par l'argent. De même que sont révélés les dessous de la maison du peuple par la longue interview de son nouveau gérant expliquant confisquer la moitié des pourboires des chanteuses. La partie à Fengjie fustige le développement à marche forcée de la Chine au mépris des bouleversements sur la vie des habitants obligés de quitter leurs maisons en amont du barrage des Trois Gorges.
Dans la partie contemporaine, le réalisateur impressionne par la puissance critique et subtilement humoristique de ses images. Les terribles saisons de crise sanitaire, l’émergence de TikTok, la techno-mania incontrôlée qui envahit la vie ordinaire, les robots parlent, plus que les humains; tout cela s’enchevêtre magistralement avec le dernier chapitre de l’histoire d’amour, le plus déchirant. S’il montre, à ce stade, ses deux personnages comme rejetés par les vagues sur les rives de l’âge mûr, l’auteur leur réserve le meilleur de son inspiration. L’adieu aux illusions évoque une conquête. Le renoncement n’est pas synonyme de fuite, mais d’action.
Distribution[]
- Zhao Tao : Qiao Qiao
- Li Zhubin : Guao Bin
- Pan Jianlin
Fiche technique[]
- Titre international : Caught by the Tides
- Réalisation : Jia Zhangke
- Scénario : Wan Jiahuan et Jia Zhangke
- Musique : Lim Giong
- Photographie : Yu Lik-wai et Éric Gautier
- Montage : Yang Chao, Matthieu Laclau et Xudong Lin
- Société de production : Xstream Pictures
- Durée :
- 18 mai 2024 (Festival de Cannes 2024)
- 8 janvier 2025 (sortie nationale)