Les Idiots est le deuxième opus de la "trilogie Cœur en or" (précédée de Breaking the Waves et procédée par Dancer in the Dark) réalisée par Lars von Trier et sortie en 1998.
Synopsis[]
Le film a pour sujet un groupe d'adultes anti-bourgeois qui passent leur temps à chercher leur « idiot intérieur », en libérant leurs inhibitions et en se comportant comme s'ils étaient mentalement retardés en public, par conséquent provoquant l'opinion de la société, le politiquement correct. Ils estiment que la société dans son ensemble traite leur intelligence de façon non créative et sans défis. Ainsi, ils cherchent l'humiliation et les situations dégradantes.
- La devise 1 : « Vous êtes un complet idiot, et plus idiot que vous ne le pensez ».
- La devise 2 : « Un film par des idiots, sur des idiots, pour des idiots ».
Critique[]
Nous sommes, en 2006, à l’ère du remake et du remâché. Ironiquement, les gens tentent d’être différents, marginaux, pour se distinguer de la masse en étant original et unique. Malgré leurs efforts, très peu réussissent et certains finissent même par emprunter le chemin qu’ils tentent de fuir, « le conformisme. » Heureusement, d’autres réussissent encore à innover et à imposer leur style. Lars Von Trier, réalisateur danois, est surtout reconnu dans l’industrie du cinéma pour sa marginalité et sa capacité à repousser ses propres limites créatives. Ainsi, chacun de ses films est unique en son genre puisqu’il ne ressemble en rien au bagage cinématographique qu’il possède et renouvelle constamment. Incontestablement connu pour Europa (1991), Breaking the waves (1996) et Dancer in the dark (2000), ce réalisateur crée, en 1997, Les Idiots, un film du Dogme 95. Il utilise à la fois des techniques du modernisme et du postmodernisme pour captiver le spectateur, provoquer et choquer : tout en faisant de son film un produit tout à fait opposé aux films conventionnels et populaires. D’ailleurs, le film Les Idiots est d’abord moderne puisqu’il est issu d’un mouvement appelé Dogme 95 qui s’insurge contre l’engouement relatif à la technologie : pour contrer le cinéma à la chaîne ou le fast-food cinématographique qui n’amène rien de plus au niveau créatif à l’industrie du cinéma puisqu’on sur-utilise machinalement les mêmes patterns et concepts. Ainsi, Dogme 95 est un programme qui veut changer l’esthétique des films, avec des procédés qu’il tente d’implanter. De plus, en établissant des règles précises au mouvement, dans un manifeste intitulé Le Vœu de Chasteté, on respecte la radicalité des cinéastes modernes. De cette manière, pour appartenir au mouvement, il faut suivre à la lettre toutes les règles, sans y déroger. Par contre, il esquive le droit chemin en divaguant de ses propres concepts, ce qui donne au film une allure postmoderne.
Pour répondre à ces règles, certains éléments techniques ont dû être priorisés. Les dix règles du manifeste sont des éléments techniques auxquels les réalisateurs doivent se soumettre. Par conséquent, Von Trier a tourné Les Idiots à l’extérieur, dans un environnement réel qu’il n’a pas modifié à l’aide de décors, costumes des personnages ou accessoires. Il a donc exclut l’univers des studios et de tout ce qui s’y rattache. Il a aussi filmé en couleur et non pas en noir et blanc. Il a donc utilisé des éclairages naturels comme la lumière du jour et la lumière incandescente dans une pièce. Cela crée un effet de réalisme puisque le spectateur voit les couleurs à leur état pur, n’étant pas remaniées à l’aide de projecteurs qui tenterait d’adoucir les imperfections des personnages et de l’environnement. D’ailleurs, le réalisme est ce qui s’apparente le plus au réel ou du moins qui en donne l’illusion, puisque les procédés ne tentent pas d’être à la fine pointe car, ce n’est pas ce qui importe dans l’esthétique du Dogme 95. De plus, l’emploi d’une caméra à l’épaule ajoute une forte dose de réalisme au film. Ne permettant pas de plans parfaits, l’image tremblote, les cadres bougent énormément en plus de couper les têtes. Bref, rien n’est stable, comme dans la vie en général. Cette nécessité a pourtant bien des avantages. La caméra à l’épaule ne restreint pas l’espace et les mouvements des caméramans, contrairement à une machinerie lourde et spécialisée qui nécessiterait aussi des moyens de déplacements spéciaux comme des rails ou des chariots pour transporter la caméra afin de suivre les personnages, afin que l’image soit stable et parfaite. Ainsi, « le film ne doit pas avoir lieu là où la caméra est placée ; c'est le tournage qui doit avoir lieu là où le film a lieu » Une simplicité doit demeurer dans l’esthétique, de manière à prouver qu’il est possible de tout dire, sans l’emploi de grosses machines qui valent des millions. Pour cette raison, Lars Von Trier est resté à l’essentiel des faits et n’a ajouté aucun filtre et aucun effet spécial et visuel à son film. D’ailleurs, le film n’est pas tourné de manière habituelle. La caméra, dans Les Idiots, n’est pas seulement l’objet utilisé pour filmer. Étant subjective, elle transporte le spectateur dans les coulisses du groupe, comme s’il y appartenait, lui aussi. Cette subjectivité alourdit l’ambiance régnant à la fois dans le film et dans l’espace du spectateur et vient même à être agressante, puisqu’elle semble interminable.
Ne reculant devant rien, le réalisateur a aussi repoussé les limites en engageant des acteurs non professionnels dans son film. De ce fait, il a opté pour une manière de jouer improvisée, laissant place à l’interprétation des acteurs dans le cheminement de leur personnage. Un choix justifié et des plus judicieux puisque le spectateur ne s’identifie plus à des vedettes qui jouent de manière conventionnelle, qu’il reconnaît facilement et dont il connaît parfaitement la vie. Dans la plupart des cas, la popularité de l’artiste est parfois la seule raison pour laquelle il a été engagé et cela lui enlève toute crédibilité en tant qu’acteur aux yeux des spectateurs. De cette manière, les acteurs non professionnels ajoutent un cachet mystérieux au film. De plus, le spectateur ne connaît pas personnellement les personnages, alors il est invité, malgré lui, à entrer dans leur univers et à comprendre leurs pensées. Ainsi, Von Trier a prit des risques en sachant fort bien que le résultat final ne serait peut-être pas ce qu’il avait prévu originalement. En jouant le tout pour le tout, il aurait pu se « casser la gueule » et faire de son film un navet, tout en jouant sa carrière : ce qui n’est finalement pas arrivé.
La pauvreté de l’esthétique est une façon de revenir aux origines du cinéma, bref de revenir à la réalité (réalisme). « [Le] but suprême est de forcer la vérité à sortir [des] personnages et du cadre de l'action. » Tout repose dans l’imprévu, l’improvisation des personnages qui doivent créer leur propre caractère, ce qui laisse tomber les techniques extraordinaires et laisse place à la créativité des acteurs. Cette méthode impromptue vise à mettre le spectateur mal à l’aise face à ce qu’il voit et entend ; toujours dans le but de choquer et de faire réagir (des méthodes cinématographiques propres au réalisateur dans sa quête à la marginalité). Difficilement identifiable, le réalisateur n’a pas donné à son film une allure de film de genre. Le but était sûrement de détourner les idées préconçues du cinéma, ne voulant pas adhérer aux codes conventionnels des films. Au même titre, le générique est écrit à la craie sur le parquet, sans mention du réalisateur. En écrivant la règle disant que le nom du réalisateur ne devait pas de trouver au générique, Von Trier avait pour but d’anéantir la gloire d’un auteur avare de capitalisme et de prestige, de manière à placer tous les membres de l’équipe sur le même pied d’égalité. Enfin, après s’être conformé aux dix règles imposées par Lars Von Trier, un réalisateur doit signer cette déclaration (extrait) : « De plus, je jure comme réalisateur de m'abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m'abstenir de créer une "œuvre", car je considère l'instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de forcer la vérité à sortir de mes personnages et du cadre de l'action. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de tout bon goût et de toutes considérations esthétiques. Ainsi je prononce mon VOEU DE CHASTETÉ... » [GOULET, Marc-André. Les Idiots, Lars von Trier, Danemark [En ligne], http://membres.lycos.fr/travelavant/dogma.htm, (page consultée le 13 décembre 2005)] Dans cet extrait, on voit clairement le rapport que veut imposer Von Trier entre le réalisateur et les spectateurs.
Ainsi, Von Trier souhaite changer le style du cinéma en amenant une nouvelle esthétique de manière à casser les patterns, ce qui est très moderne. Avec les règles, le réalisateur va à l’encontre de certaines idées individualistes, bourgeoises, décadentes, illusionnistes et superficielles, ce qui va dans le sens de s’insurger contre l’engouement technologique.
En dérogeant aux règles de son propre manifeste, Von Trier entre dans ce qu’on appelle la postmodernité. Ironiquement, cela prouve qu’il ne souhaite pas avoir d’attaches à quoi que ce soit, laissant libre cours à sa créativité et à ses pulsions. À prime abord, la scène de l’orgie pourrait être considérée comme une action de détournement. Les gros plans, dignes de films pornographiques, sont probablement superflus pour certains spectateurs qui pourraient être choqués suite au visionnement du film, mais tel est le but ultime du réalisateur, choquer. Von Trier pourrait sûrement défendre sa position en disant que l’orgie fait naître l’amour (puisqu’un couple se forme), en plus de montrer à quel point l’être primitif que chacun tente de mettre de l’avant, dans le film, prend le dessus sur le côté civilisé et bourgeois. Ainsi, les désirs, souvent refoulés et mis de côté dans les films, sont ici exploités ouvertement et sans pudeur. Le côté animal de l’homme, qui ne contrôle plus ce qu’il ressent et cherche à extérioriser ce qu’il retient au fond de son âme, prend le dessus. Lars Von Trier a su mettre en image ce que tous les hommes (et femmes) cachent dans leur fond intérieur, ce qu’ils essaient, souvent avec difficulté, d’étouffer pour ne pas paraître grossier. Aussi, plusieurs retours en arrière (flash-back) viennent perturber la clause linéaire du manifeste, traitées à la manière d’un documentaire avec des témoignages des membres du défunt groupe. Ces témoignages servent à illustrer ce que le groupe (les Idiots) a apporté chez chacun d’eux. L’on voit, à ces moments, que l’homme a besoin de sortir de la normalité, pour s’abandonner à des activités qui mettent en valeur son jeu intérieur.
Habituellement, la musique doit être diégétique, c’est-à-dire qu’elle doit faire partie de l’environnement sonore des personnages et du lieu de tournage. De ce fait, elle ne doit pas être ajoutée au montage ; une des règles qu’il a enfreinte. Évidemment, il protège ses intérêts en disant que la musique que l’on entend est jouée par un musicien qui se tenait près de la caméra.
Tout compte fait, von Trier entretient un rapport particulier avec le spectateur, ce qui est tout à son avantage. Il a inséré à son film quelque chose d’exceptionnel dans la manière de nous le présenter. Dès les premières minutes, le spectateur est troublé par l’ambiance et il est dérouté : alors que certains décrochent totalement, d’autres sont impressionnés par la tournure du film et souhaitent savoir où le film les amènera.
Ce dernier ne se contente pas de nous montrer sa vision de la société, il nous incorpore dans un environnement chaotique pour nous faire vivre les émotions que plusieurs personnes tentent de ramener à la surface. De même, le réalisateur en a profité pour faire une critique du système bourgeois qui, comme on le voit dans le film, est l’invasion du capitalisme et de ses promoteurs. Ce problème lié aux revenus monétaires se retrouve partout et Von Trier était au courant lorsqu’il a donné ce ton au film; son but était même de dénoncer cette relation amoureuse que l’on entretient avec l’argent et ce qu’elle peut nous apporter. Il était conscient qu’un tel message, appuyé par des images aussi provocantes, saurait réveiller les gens sur leur manière d’agir. Ainsi, le réalisateur n’a pas seulement contraint son univers, il a imposé son propre style de manière à montrer aux spectateurs sa philosophie quant à l’évolution de la société.
Somme toute, il va sans dire que Lars Van Trier est un marginal sans borne qui n’a pas froid aux yeux. Une chose est certaine, ce film a la particularité de ne laisser personne indifférent. Qu’on déteste ou qu’on adore, Les Idiots nous touche puisqu’il traite d’un sujet encore actuel aujourd’hui : « la recherche du bonheur, de la liberté au-delà de l’argent et des conventions sociales. » Il pousse ainsi le spectateur à remettre en question ses propres valeurs morales puisqu’il est confronté crûment au bas fond de la société, par le biais du groupe (les Idiots) qui revendique le fait que tout est gouverné, qu’il le veuille ou non, à la sauvage lutte à l’argent. Avec sa démarche de réalisateur, il a su implanter dans l’univers cinématographique des valeurs importantes qui pourront, éventuellement, amener d’autres courants à contrer le sien. Son film Les Idiots est donc un film moderne, qui implante des tendances postmodernes. Ceci est propre à ce réalisateur : de ne pas rester dans le moule et ce, même lorsqu’il s’agît du Dogme 95 et du manifeste auquel il dit appartenir. Mais en fait, y appartient-il totalement ? Ainsi, il s’éloigne de plus en plus de la marque Dogme et son film Les Idiots est probablement son dernier film à porter la marque Dogme 95.
Distribution[]
- Bodil Jørgensen : Karen
- Jens Albinus : Stoffer
- Anne Louise Hassing : Susanne
- Troels Lyby : Henrik
- Nikolaj Lie Kaas : Jeppe
- Louise Mieritz : Josephine
- Henrik Prip : Ped
- Luis Mesonero : Miguel
- Knud Romer Jørgensen : Axel
- Trine Michelsen : Nana
- Anne-Grethe Bjarup Riis : Katrine
- Paprika Steen : l'acheteuse potentielle
- Erik Wedersøe : Svend, l'oncle de Stoffer
- Michael Moritzen : l'employé municipal
- Anders Hove : Le père de Joséphine
- Claus Strandberg : L'homme à l'usine
- Hans Henrik Clemensen : Anders, le mari de Karen
- Lone Lindorff : La mère de Karen
- Erno Müller : Le grand-père de Karen
- Regitze Estrup : Louise, la sœur de Karen
- Lotte Munk Fure : Britta, La sœur de Karen
- Marina Bouras : La femme d'Axel
- Julie Wieth : La femme avec deux enfants
Fiche technique[]
- Réalisateur : Lars von Trier
- Scénario : Lars von Trier
- Pays d'origine : Danemark
- Genre : Comédie dramatique, humour noir
- Durée : 110 minutes
- Dates de sortie : 1998